L'escalade anti-chiite bat son plein

Publié le par ALANI

Feurat Alani, envoyé spécial du journal Le Soir

Encore une fois, la violence aveugle a frappé l’Irak où près de 130 civils irakiens ont trouvé la mort en trois jours. Hier, à Koufa, ancien fief du chef chiite Moqtada Sadr près de Nadjaf, une voiture piégée a explosé près d’une mosquée et tuée 58 civils et blessée 105 autres personnes. Les victimes étaient des ouvriers qui, comme à leur habitude, attendaient que des employeurs éventuels viennent les chercher. C’est le troisième attentat meurtrier contre la communauté chiite en l’espace de trois jours. Cette nouvelle attaque a été condamnée avec force par le Premier ministre, Nouri al-Maliki, qui a promis, dans un communiqué, de « pourchasser ses auteurs et de les châtier ». Chose que le chef du gouvernement ne parvient toujours pas à accomplir malgré l’opération de sécurisation de la capitale où 50 000 soldats ont été déployés. Par ailleurs, les corps de quatorze personnes tuées par balle ont été retrouvés dans le quartier mixte de Mahmoudiya, en plein « triangle de la mort ».

 

Ainsi, l’Irak a connu les deux mois les plus meurtriers depuis l’attentat du 22 Février contre le mausolée chiite de Samarra. Selon un rapport sur les droits de l’Homme émanant des Nations unies, près de 5900 civils tués et 5700 blessés ont été recensés pendant les mois de Mai et de Juin en Irak. Pour le ministère de la santé irakien, ce chiffre est en dessous de la réalité. De plus, le ministère tient à différencier les morts « violentes » des morts « normales ». Ainsi selon le même rapport, 50 000 personnes seraient décédées de façon violente depuis 2003. Ces chiffres alarmants viennent appuyer la thèse d’une guerre civile apparemment en passe de croître. Car l’Irak développe bel et bien les symptômes d’une guerre civile que certains qualifient de « basse intensité ». Pourtant, le nombre croissant de déplacés et la séparation ethnique qui s’opère, les chiites d’un côté et les sunnites de l’autres, corrobore le scénario d’une guerre civile à la « libanaise ».

 

Car comme dans le Liban des années 80, chaque communauté affirme être martyrisée par ses adversaires. Or, les hommes politiques irakiens suivent la même voie. Un député chiite Hamid Rachid Moala, cité dans un communiqué du Conseil suprême de la révolution islamique en Irak (CSRII) a qualifié les attentats contre les lieux de culte de sa communauté de « pires crimes » et accusé les « saddamistes » et « takfiris » (extrémistes sunnites) de vouloir « plonger le pays dans la guerre civile ». Dans le camp sunnite, on se pose également en victime. Le Front national de la Concorde, principal parti sunnite, cite dans un communiqué « les sunnites chassés de la ville méridionale à majorité chiite de Bassorah et les enseignants sunnites qui sont systématiquement pris pour cible ». De ce fait, les chiites tenteraient de gagner le sud de l’Irak tandis que les sunnites émigrent dans l’ouest et dans le nord.

 

Mais dans ce cycle infernal de violences, les couples mixtes sont les plus touchés par les violences confessionnelles. Pris entre deux feux, ces derniers composent d’ailleurs la majeure partie des irakiens qui fuient vers l’étranger, en Syrie et en Jordanie. C’est le cas de Mohamed Fakhri, jeune irakien diplômé qui, durant le conflit inter-religieux, ne sait plus où donner de la tête. « Mon père est chiite et ma mère est sunnite. C’est très difficile à vivre. J’ai souffert lorsque les américains bombardaient Fallouja, la ville natale de ma mère. J’ai également pleuré lorsque Nadjaf, la ville de mon père, a été prise d’assaut par les soldats de la coalition » raconte-t-il. Mais ce qui l’attriste le plus, c’est le regard des autres. « Le manque de confiance que l’on ressent lorsque l’on essaie de défendre une cause et que des amis vous reprochent d’avoir un double langage du fait de ma double confession » déplore Mohamed. En Irak, et surtout à Bagdad, le sentiment nationaliste, et donc rassembleur, tend à disparaître. Alors cette famille résidant dans un quartier sunnite de la capitale a préféré plié bagages pour les Emirats Arabes unis. Beaucoup d’autres ont fait le même choix. Au fil des jours, l’ombre grandissante de la guerre civile empoisonne les relations entre chiites et sunnites.

 

 

 


 

 

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