De jeunes djihadistes français envoyés en Irak via l'Egypte

Publié le par ALANI

 

Le Figaro du 26 Octobre 2005

Jean Chichizola avec Cécilia Gabizon et Feurat Alani

Le djihad irakien attire de plus en plus de jeunes islamistes français. Le Figaro a retrouvé la trace de trois d'entre eux en Ile-de-France et en Normandie.

ATEF EL 0. s'est envolé pour Le Caire un jour d'avril 2005. A 22 ans, cet enfant d'Aubervilliers tirait un trait sur les petits boulots entre pizzerias minables et intérim sans lendemain.

Des petits larcins aux violences diverses, Atef n'était certes pas un saint. Mais selon la version qu'il avait donnée à ses copains, le voyage égyptien devait lui permettre de progresser dans la connaissance de l'arabe et du Coran. Ce célibataire, issu d'une famille d'origine tunisienne, a pourtant gagné la Syrie au coeur de l'été.

Un dernier contact avec ses proches mi-août puis plus rien. A Aubervilliers, un de ses potes affirme que «le vrai but d'Atef, c'était l'Irak». Un policier confirme que l'ancien pizzaïolo avait bien manifesté une telle intention avant de prendre son billet pour Le Caire.

«Atef d'Aubervilliers» a pris place dans la liste des Français disparus en Mésopotamie. Une petite dizaine de noms ou surnoms issus de bribes d'information recueillies grâce à des écoutes téléphoniques ou des témoignages. Le retour à des racines mythiques Car Atef est loin d'être une exception.

«L'Irak est un moyen de propagande pour les islamistes, remarque un policier des Renseignements généraux. Ils exploitent aussi le sentiment d'exclusion ressenti par les jeunes des quartiers difficiles, leur volonté d'un retour à des racines mythiques et leur haine des Etats-Unis ou des juifs.» Un profil auquel un spécialiste de la DST ajoute «l'appartenance à un quartier et à une bande où des jeunes issus de l'immigration maghrébine côtoient des gamins noirs ou convertis». Atef El 0.

était en contact avec une de ces bandes de la Seine-Saint-Denis qui sillonnait Aubervilliers, Bondy et La Courneuve. Agés de 21 à 25 ans, et alternant chômage et petits boulots, ces islamistes cherchaient à recruter. A l'occasion, le groupe croisait une autre bande plus connue : celle des Buttes-Chaumont démantelée par la DST en janvier 2005 après avoir envoyé une demi-douzaine de jeunes en Irak.

Vendeur sur les marchés, âgé de 25 ans, l'un des membres de la cellule de Seine-Saint-Denis évoque un «simple malentendu». «On croise toujours des gens dans les mosquées, dit-il. On leur serre la main sans savoir de qui il s'agit.

Je suis un musulman pratiquant et rien de plus.» Pour les policiers, la réalité est plus complexe. Badi B., alias «Abou Hamza», 25 ans, le chef de bande, a fondé une école coranique en Egypte où une dizaine de jeunes Français se sont déjà rendus. Selon les services de renseignement français, les deux groupes auraient envisagé d'envoyer des volontaires en Irak via l'Egypte et la Syrie.

Interrogés par la DST en septembre dernier, Badi B. et ses camarades ont rejeté ces accusations avant d'être relâchés. Un mois plus tôt, Atef El 0.

gagnait l'Irak via l'Egypte et la Syrie... Parents normands et catholiques L'Irak n'attire pas seulement les fous de Dieu des quartiers populaires de Paris ou de sa banlieue rouge. En témoignent les parcours de Karim, 23 ans, sorti de sa cité aux confins de l'Oise, ou de Youssef, 21 ans, venu d'une petite ville de l'Eure, entre Rouen et Louviers.

En 2004, Youssef gagne le Yemen avec l'intention d'apprendre l'arabe. Pour les habitués de la mosquée radicale qu'il fréquentait, il est parti «s'entraîner dans des camps pour combattre ensuite en Irak». Avant de plonger dans la mêlée irakienne, Youssef s'appelait Antoine, né de parents normands et catholiques pratiquants.

L'adolescence venue, il abandonne ses études, collectionne les petits boulots et drague les filles. Son frère aîné, 24 ans et militaire, est plus sérieux. Avec toutefois une particularité.

Attiré par les religions, notamment par l'islam, il se convertit en 2003, bientôt suivi par Antoine. Le grand frère devient un musulman sans histoire. Son cadet fréquente, lui, une mosquée salafiste où l'Irak monopolise les conversations.

Trois islamistes du quartier s'y seraient déjà rendus. «On ne voyait plus beaucoup Youssef, explique un ami. Avec la religion, il a trouvé de quoi s'accrocher, lui qui était dans la galère.» Le radicalisme islamiste au coeur de la Normandie.

Un jour, Youssef amène son cousin de 9 ans dans sa mosquée. L'enfant se voit arracher violemment la croix qu'il porte autour du cou par un fidèle qui lui hurle qu'elle est «haram» (interdite). Peu après l'incident, Youssef quitte l'Eure pour Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) où il est hébergé par un «frère» encore plus radical.

Peu avant son départ pour l'Irak, il téléphone à son frère et l'exhorte au repentir. Le soleil, assure-t-il, a bougé dans le ciel, la fin du monde est proche. Pour Antoine-Youssef, l'heure du martyre a sonné.

Une centaine de jeunes L'interprétation des signes, Tewfik connaît lui aussi. Camionneur issu d'une famille d'origine marocaine installée dans le Val-d'Oise, il voit la main de Dieu partout. Convaincu de la supériorité de l'islam, il estime nécessaire de combattre les juifs, «ingrats et fourbes», et les chrétiens, «dominateurs».

Le djihad l'attire. Salafiste, son frère Karim, 23 ans, y est déjà parti, via la Syrie, dès 2003. Depuis, il a donné de ses nouvelles : il serait hébergé dans une maison avec d'autres Français et on leur confierait des «missions».

L'homme aurait même été obligé d'abattre un soldat américain peu après sa reddition. Selon Karim, une centaine de jeunes seraient arrivés de France depuis deux ans, chiffre naturellement invérifiable et probablement exagéré. Selon les services antiterroristes, seulement une vingtaine de jeunes venus de France ont combattu ou combattent encore en Irak.

Leurs homologues d'outre-Manche, quant à eux, ont recensé plus de soixante-dix djihadistes britanniques partis pour le pays des deux fleuves.

 

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